Le rôle des affections dans la vie de prière
La prière est une activité qui implique toutes les facultés de la personne
Ces facultés sont: l’intelligence, la volonté, l’imagination, les sentiments? Les affections jouent également un rôle important dans la vie de prière, mais comment les intégrer harmonieusement dans notre dialogue avec le Seigneur, afin de nous adresser à Lui de toutes nos forces ? Nous vous proposons un article avec quelques réflexions utiles pour préparer des cours et des conférences sur la vie chrétienne sur ce sujet.
Schéma
1. La prière implique la personne toute entière
2. Cercles concentriques du psychisme humain
3. Les affections dans la tradition de prière de l’Eglise
4. La nécessaire personnalisation
5. La rencontre avec Jésus de Nazareth
a) Regard
b) Visage
c) Coeur
1. La prière implique la personne toute entière
La prière implique toute la personne, sans ignorer ni diminuer aucune de ses facultés ou capacités: «celui qui prie est l’homme tout entier» (CEC, n. 2562). Dans ce guide, nous examinerons quelques idées sur la prière mettant en évidence l’une des «composantes naturelles du psychisme humain» (Ib): les passions, ou les émotions, les sentiments, les affections[1].
Nous entendons proposer quelques idées utiles à la fois pour la réflexion personnelle et pour la formation qui est donnée à des personnes qui ont déjà un certain intérêt pour la vie de prière. Les enseignements du Catéchisme de l’Église catholique et de divers saints et docteurs de l’Église sont utilisés, toutefois sans prétendre faire une présentation systématique ou une étude théologique.
Ne pas se passer d’affection
Les passions sont nombreuses, mais «la plus fondamentale est l’amour que suscite l’attraction du bien» (CEC 1765). Bien sûr, l’amour n’est pas seulement une passion, mais aussi un acte ou plutôt une relation: une relation qui parvient au don de soi. Dans tous les cas, parler d’affections, de sentiments, de passions ou d’émotions dans la prière sera fondamentalement parler d’amour. Se dispenser des affections empêcherait la personne entière de prier, puisque notre être – à la fois corporel et spirituel – a en celles-ci le pont qui unit les deux ordres: «les passions… constituent le lieu de passage et assurent le lien entre la vie sensible et la vie de l’esprit »(CEC, n. 1764).
De plus, si les affections devaient être supprimées lors de la prière, on pourrait courir le risque de poser la relation avec Dieu de manière désincarnée ou de la limiter au seul accomplissement de certains devoirs. La passion de l’amour ferait défaut, elle qui donne à la prière charme, joie, enchantement. La vie spirituelle apparaîtrait alors comme une contrainte.
Un amour purement rationnel
Un amour purement rationnel (la pure volonté) ne cherche pas Dieu avec un amour affectif, qui comprend l’illusion, la joie, la paix, le contentement. Habituellement, prier ne devrait pas être quelque chose de pénible ou d’écrasant, mais une tâche agréable, encourageante et désirée.
Cela ne veut pas dire que la valeur de la prière se confond avec les sentiments ressentis: dans la vie de prière, il y a aussi des moments où les affections semblent manquer et les grands maîtres de spiritualité ont parlé des purgations passives que le Seigneur permet dans la vie des saints. Cependant, ce que l’on veut souligner, c’est que si la prière est de la personne tout entière, alors en elle sont intégrées les affections avec l’intelligence et la volonté.
Les affections dans les Saintes Écritures
Tout au long de la Sainte Écriture, on peut découvrir comment la prière implique la dimension affective de ceux qui s’adressent au Seigneur. A titre d’exemple, on peut montrer comment la prière de Moïse est présentée comme une rencontre personnelle, entre deux amis: «Le Seigneur parlait avec Moïse face à face, comme un homme parle avec un ami » (Ex 33, 11); la jubilation du roi David lorsqu’il priait en conduisant l’Arche à Jérusalem (cf. 2 S 6,14-23).
De façon spéciale, la prière des Psaumes: «Je n’ai mon repos qu’en Dieu seul ; oui, mon espoir vient de lui. (…) Comptez sur lui en tous temps, vous, le peuple. Devant lui épanchez votre coeur : Dieu est pour nous un refuge» (Ps 62,6.9 ), «Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche dès l’aube : mon âme a soif de toi ; après toi languit ma chair, terre aride, altérée, sans eau. (Ps 63,2), «mon âme a soif de Dieu, du Dieu vivant: quand pourrai-je m’avancer, paraître face à Dieu ?» (Ps 42,3), etc.
La plénitude de la prière du Christ, qui est remplie de joie avant une prière de remerciement: «À l’heure même, Jésus exulta de joie sous l’action de l’Esprit Saint, et il dit : “Père, Seigneur du ciel et de la terre …”» (Lc 10 , 21), ne cache pas son angoisse en s’adressant au Père avant la Passion: «Entré en agonie, Jésus priait avec plus d’insistance» (Lc 22,44), etc.
Ce que nous sommes en train de dire peut être vérifié dans les textes suivants:
«Le principe de l’amour est double, car on peut aimer à la fois par le sentiment et par les préceptes de la raison. Par le sentiment, quand l’homme ne sait pas vivre sans ce qu’il aime. Par les préceptes de la raison, quand il aime ce que l’entendement lui dit … Et nous devons aimer Dieu des deux manières, sentimentalement aussi »[2].
«En réalité, eros et agapé – amour ascendant et amour descendant – ne se séparent jamais complètement. Plus ils trouvent tous les deux, quoique dans une mesure différente, la juste unité dans l’unique réalité de l’amour, mieux se réalise la véritable essence de l’amour en général (…). Il [Dieu] aime, et cet amour qui est le sien peut être décrit sans aucun doute comme eros, qui, cependant, est aussi totalement agapé»[3].
«… C’est à cela que nos moments de prière mentale doivent se traduire. Une conversation d’amoureux, dans laquelle il ne peut y avoir de place pour l’apathie ou les distractions. Un colloque très attendu … qui se déroule avec les délicatesses d’une âme amoureuse “[4].
Avant d’aller plus loin, essayons de voir la place qu’occupent les affections dans la structure du psychisme humain.
2. Cercles concentriques du psychisme humain
Si l’on nous permettait de dessiner la structure du psychisme humain – tâche impossible, puisque le spirituel n’est pas représentable – nous dessinerions des cercles concentriques. Aux extrémités, apparaîtraient les cinq sens – la vue, l’ouïe, le toucher, l’odorat et le goût – avec lesquels on peut et on doit prier. Prier avec les sens pourrait conduire à un large développement : c’est ce qui se passe, par exemple, avec l’encens dans une cérémonie liturgique, avec la symphonie des couleurs dans le vitrail d’une cathédrale, avec la musique sacrée, avec le baiser d’un crucifix, etc., mais nous ne nous attarderons pas dessus pour l’instant.
Dans le cercle concentrique suivant, nous trouverions les appétits ou émotions sensibles, dont l’utilisation dans la prière fera partie du thème développé dans ce guide. Puis apparaîtraient les sens internes, principalement la mémoire et l’imagination, avec une riche gamme de sentiments associés, qui sont de grands alliés pour la vie de prière, comme on le mentionnera dans ces pages. Ensuite, les facultés purement spirituelles: l’intelligence, qui permet de réfléchir sur le divin et l’humain, et la volonté qui, animée par la grâce, nous conduira à accomplir la volonté de Dieu: les décisions, les propositions.
Pouvoirs spirituels
Le spirituel de la personne s’exprime aussi dans une sorte d’affections, plus profondes et plus radicales, que reprennent les précédentes.
Mais le croquis de notre psychisme ne s’arrête pas là. Le cercle le plus profond est un mystère, le mystère de la personne, ce qu’elle est vraiment et ce que la Bible appelle, plus de mille fois, cœur[5]. En réalité, toute prière, de la plus simple à la plus sublime, doit venir de là, de ce centre profond, car Dieu est là: «C’est le cœur qui prie. S’il est loin de Dieu, l’expression de la prière est vaine »(CEC 2562).
Les affections permettent d’accéder au cœur
Les affections nous permettent d’accéder au cœur car, comme nous l’avons dit, elles sont le pont entre la vie sensible et la vie de l’esprit. Se situant “entre deux mondes”, le matériel et le spirituel, le point de départ sera nécessairement le premier, puisque Dieu conduit l’homme à la manière de l’homme et la connaissance commence par le sens. Pour la prière affective, il faudra donc partir des réalités sensibles. Et quelle est cette réalité sensible principale qui nous permet d’entrer dans la vie de l’esprit?
La réponse est immédiate: Jésus de Nazareth: «Pour nous rapprocher de Dieu, nous devons emprunter le droit chemin, qui est la Très Sainte Humanité du Christ. »[6] Saint Thomas d’Aquin l’explique en disant que «à cause de la faiblesse de l’esprit humain, et de la même manière qu’il a besoin d’être conduit à la connaissance des choses divines, il doit aussi être conduit à l’amour, comme par la main, au moyen de certaines choses sensibles qui nous sont familières, et parmi elles la principale est l’Humanité du Christ, selon ce qui est dit dans la Préface de Noël: Afin que connaissant Dieu visiblement, nous puissions être entraînés par Lui à l’amour des choses invisibles ».[7]
Humanité du Christ
Comme de la main nous sommes conduits de l’amour humain au divin, simplement parce que le Seigneur nous a donné le merveilleux instrument de son humanité pour que nous, qui sommes humains, trouvions facile d’accéder au divin à partir de là: «c’est une grande chose tant que nous vivons et nous sommes humains, amener de l’humain », s’exclame sainte Thérèse,[8] et elle nous confie sa propre expérience:« beaucoup plus d’amour et de confiance de ce Seigneur ont commencé en le voyant … J’ai vu que, bien qu’il fût Dieu, qu’il était homme … et ainsi, en tout nous pouvons traiter et parler avec Toi comme nous le souhaitons»[9].
La Très Sainte Humanité du Christ est le moyen d’accès à la prière affective car en Lui, vrai Dieu et vrai Homme, nous a été donnés d’arriver à l’union d’intimité divine à partir de quelque chose d’aussi familier que n’importe quelle chose des personnes que nous aimons: Jésus est l’un de nous. Ainsi, parmi tant de motifs pour remercier le Seigneur d’avoir pris notre chair, nous ne devons pas oublier ceci: en devenant homme, il a grandement simplifié notre référence au divin.
3. Les affections dans la tradition de prière de l’Eglise
Les maîtres de spiritualité ont toujours enseigné l’inséparabilité entre la prière et les affections. Une phrase lumineuse de saint Jean-Paul II résume ce qui a été dit par tous les grands maîtres de prière. Il définit la prière comme «vrai et propre dialogue d’amour»[10]. Un bref examen de l’histoire le confirme:
«La prière dépend de l’amour» (PSEUDO-MACARIO, Homiliae 40, 1).
«La prière, que nous le sachions ou pas, est la rencontre de la soif de Dieu et de la soif de l’homme. Dieu a soif que l’homme ait soif de Lui» (SAINT AUGUSTIN, quaest. 64, 4).
«Par prière j’entends, pas celle qui est seulement avec la bouche, sinon celle qui surgit du fond du cœur (…). C’est pour cela que dit le psalmiste: «Des profondeurs je crie vers toi, Seigneur (Psaume 129, 1)» (SAINT JEAN CHRYSOSTOME s. IV, Homélie sur l’incompréhensibilité de Dieu, 5.)
Sainte Thérèse D’Avila
«…la prière mentale, à mon avis, n’est pas autre chose que de l’amitié, étant beaucoup de fois seul à seul avec quelqu’un que l’on sait nous aime »(SAINTE THÉRÈSE D’AVILA, Vida, 8, 2).
“… il ne s’agit pas de penser beaucoup, mais d’aimer beaucoup … tous les gens ne sont pas habiles à penser, mais tous sont habiles à aimer” (SAINTE THÉRÈSE D’AVILA, Vida 5, 2).
«La prière, c’est élever l’âme sur elle-même et sur tout ce qui a été créé, se joindre à Dieu et se plonger dans cette mer de douceur et d’amour infinis» (Fr LOUIS DE GRENADE, Traité de l’oraison et de la méditation).
Les hauteurs de la prière
«Le diable craint qu’un certain degré d’amour pour Dieu ne soit atteint par la prière, car il sait que lorsque l’âme atteint ce degré, elle ne peut plus lui appartenir, ou que si elle a le malheur d’être loin de Dieu, le souvenir du bonheur qu’elle a éprouvé dans cet amour la fera facilement revenir à son devoir » (Saint Curé d’Ars, Procès de l’Ordinaire, 415).
“Pour moi, la prière est une impulsion du cœur, un simple regard vers le ciel, un cri de reconnaissance et d’amour tant au sein de l’épreuve que dans la joie” (SAINTE THÉRÈSE DE L’ENFANT JÉSUS, Manuscrits Autobiographiques C25ro).
«Dieu approche l’âme d’une manière particulière, connue seulement de Dieu et de l’âme. Personne ne se rend compte de cette union mystérieuse, c’est l’amour qui préside à cette union et seul l’amour accomplit tout. Jésus se donne à l’âme d’une manière douce et délicate et dans son intérieur règne la paix »(SAINTE FAUSTINE KOWALSKA, Petit Journal, n ° 622)
«Ton intelligence est engourdie, inactive; tu fais des efforts inutiles pour coordonner tes idées en présence du Seigneur: un véritable abrutissement! Ne t’efforce pas, ne t’inquiète pas. – Ecoute−moi bien: c’est l’heure du cœur» (SAINT JOSEMARÍA, Chemin, n. 102).
Apprendre à aimer dans la prière
«Mon Dieu, apprends-moi à aimer! – Mon Dieu, apprends-moi à prier! ” (SAINT JOSEMARÍA, Forge, n. 66).
«J’ai toujours compris la prière du chrétien comme un entretien amoureux avec Jésus, un entretien qui ne doit jamais s’interrompre, même aux moments où nous sommes physiquement éloignés du tabernacle; car toute notre vie est faite de ces refrains d’amour humain transposés au plan divin… Et parce qu’aimer, nous le pouvons toujours »(SAINT JOSEMARÍA, Forge, n. 435).
«Le problème de la prière n’est pas de parler ou de ressentir, mais d’aimer.» (SAINT JOSEMARÍA, Sillon, n. 464).
4. La nécessaire personnalisation
L’amour ne peut se produire qu’entre des personnes spécifiques. Il n’est pas possible d’être amoureux d’un code ou d’une abstraction. C’est pourquoi la prière, y compris sa dimension affective, se fonde sur la foi en un Dieu qui est Personne: «La prière chrétienne est toujours déterminée par la structure de la foi chrétienne, dans laquelle rayonne la vérité même de Dieu et de la créature.
C’est pourquoi elle se configure, à proprement parler, comme un dialogue personnel, intime et profond entre l’homme et Dieu (…) un exode du moi de l’homme vers le Toi de Dieu. La prière chrétienne est toujours authentiquement personnelle»[11].
Dialogue avec une personne
Étant un dialogue personnel, intime et profond entre l’homme et Dieu, un exode du moi vers le Toi de Dieu, la prière est donc profondément personnaliste – une rencontre de personnes qui existent, qui vivent, qui sont elles-mêmes, qui se regardent, se parlent, s’entendent – et cela implique toujours une extase, une sortie de soi sans laquelle l’amour ne se développe pas. Ici, la prière de nombreux chrétiens qui ont perdu le contact avec la personne du Christ peut échouer et échoue.
Peut-être spéculent-ils en priant, raisonnent-ils peut-être sur des aspects de la lutte ascétique ou tiennent-ils des monologues qui clarifient les idées; peut-être que leurs heures de prière les aident à organiser la journée ou à prendre des résolutions … mais, rencontre personnelle?
Les affections dans la prière doivent se manifester entre des personnes spécifiques, non autour de projets ou de réalisations. Il s’agit de gagner la confiance et la sécurité d’une Présence aimante[12]. Cette réalité reste, comme on dit, cachée à beaucoup. Mais même si nous réussissons parfois, nous aurons toujours quelque chose à découvrir, du moins dans toute son expérience. Nous pourrions ne pas connaître Jésus comme nous connaissons nos plus intimes. Nous pourrions connaître la Personne de Jésus – bien que cela semble paradoxal – de manière impersonnelle.
Dans la prière, il y a une rencontre unique de chaque personne avec le Christ
Chaque personne est une réalité singulière. Et Jésus de Nazareth l’est, au maximum. Contrairement à toute autre réalité, la personne – divine, angélique ou humaine – ne peut être connue qu’en personne, c’est-à-dire en établissant une relation directe avec elle, de sorte que cette personne – dans ce cas, la Personne de Jésus – ne soit plus un générique anonyme mais un Tu spécifique.
Il serait illusoire de supposer que ce guide offre au lecteur la clé pour y parvenir. L’expérience que Paul manifeste dans la lettre aux Philippiens[13] – ou à tout autre homme ou femme spirituel à travers l’histoire – est une grâce très spéciale. Parce que la grâce du contact personnel, ininterrompu et transformateur avec Dieu fait homme est un don unique du Saint-Esprit. L’expérience de l’apôtre – et de quiconque a savouré une telle connaissance personnelle – est un grand cadeau du Ciel. Mais cela ne nous sera pas accordé si nous ne l’essayons pas sérieusement.
5. La rencontre avec Jésus de Nazareth
Le chemin privilégié de la prière affective est la relation d’amour avec Jésus, le Fils de Dieu fait homme. Pour y parvenir, essayez de le faire venir par la foi et l’amour du passé historique (un homme qui a vécu en Palestine à une date éloignée), pour le trouver vivant et actif dans notre moment présent. Ou, faites-le descendre du ciel où il est à la droite du Père, à notre moment qui est le sien, écoutant sa respiration et les battements de sa poitrine.
Qui était Jésus?
Jésus de Nazareth, le fils de Joseph, le rabbin Jeshua bar-Joseph. Ceux qui l’ont vu ont remarqué que ses yeux étaient d’une couleur très précise et que sa voix avait un timbre très personnel. Ses contemporains -surtout ceux qui étaient ouverts à son message et à sa Personne- connaissaient très bien les expressions que son visage acquérait dans certaines situations et, ceux qui l’aimaient encore plus, comme sa Mère, étaient en parfaite harmonie avec le contenu de son cœur.
Les affections, comme nous l’avons dit, relient le monde sensible au monde spirituel. Par conséquent, nous ne pouvons pas nous passer du matériel dans la prière affective. Nous devons réussir, en utilisant toutes nos autres facultés, la réalisation du Visage du Christ, ainsi que percevoir le sens profond de son regard quand il nous regarde – il me regarde -, découvrant également le sentiment de son cœur quand nous le voyons caché dans le Tabernacle ou quand nous l’accompagnons, en priant, dans n’importe lequel des moments de sa vie …, ou quand nous l’amenons, en priant, à partager notre situation actuelle[14].
a) Regard de Jésus
Capter le regard que Jésus dirige vers celui qui prie est une aide précieuse pour la prière affective: «La prière, qui s’exprime fréquemment dans un regard: le regarder et se sentir regardé»[15]. Nous ne connaissons personne si nous évitons systématiquement son regard. Et l’inverse: si nous croisons notre regard avec celui de Jésus, nous découvrirons un Amour toujours en attente: «Si tu le regardes, il te suffira de voir combien il t’aime…»[16].
«Nous atteignons l’allure des âmes contemplatives, au beau milieu de notre tâche quotidienne. Car nous sommes envahis par la certitude qu’il nous regarde…»[17]. «Le Maître passe et repasse à maintes reprises, très près de nous. Il nous regarde…»[18] Saint Jean-Paul II disait aux jeunes: «Je souhaite que vous fassiez l’expérience de la vérité que le Christ vous regarde avec amour! … Je souhaite à chacun et à chacune de vous de découvrir ce regard du Christ, et d’en faire l’expérience jusqu’au bout …»[19]
Dieu compte sur nos capacités
À ce stade, nous pourrions penser que tout ce que nous faisons dans cette façon de prier ne sont que des exercices d’imagination. Et ce serait vrai: c’est ce qu’ils sont. Mais auparavant, nous disions aussi que «celui qui prie est l’homme tout entier» (CEC, n. 2562). Dieu compte sur nos facultés et nos capacités pour communiquer avec nous. Dans ce cas, nous essayons de tourner notre regard vers Jésus et de nous laisser regarder par Lui, en nous appuyant sur notre imagination, informée par les vertus infuses et les dons.
Notre esprit tout entier – par conséquent, l’imagination, la mémoire et les autres facultés – est inspiré par le Saint-Esprit. Utiliser l’imagination dans la prière est donc un moyen d’atteindre l’union avec le Seigneur, de s’unir à sa volonté. Il ne s’agit pas de faire des élaborations imaginatives compliquées ou avec une forte charge émotionnelle -parfois, ceux qui commencent la vie de prière pourraient tomber dans cette erreur-, mais simplement d’essayer de contempler Jésus de Nazareth comme l’Évangile nous le propose.
Le regard de Jésus est un regard subtil
Le regard de Jésus est un regard subtil, perçu uniquement dans le clair-obscur de la foi et se perçoit dans le recueillement et la quiétude silencieuse. Alors ce regard nous en dira plus que mille mots. Chez les grands spirituels, cela devient si clair que, comme le dit Thérèse, ils découvrent la volonté divine avec le seul regard: «Comme là-bas si deux personnes s’aiment beaucoup et ont une bonne compréhension, même sans signes, il semble qu’elles se comprennent rien qu’en se regardant; ce doit être ici que, sans que nous voyions, comme de repère en repère, ces deux amants se regardent»[20].
La communication parfaite est caractéristique de l’amour, et l’amour rend la connaissance si immédiate que même l’expression verbale n’est pas requise[21]. De sorte que dans la prière affective, beaucoup de fois il ne sera pas nécessaire de se demander: quel thème j’emmène à la prière? En réalité nous allons fondamentalement être avec Lui, parce que c’est cela qui est important, et si quelque chose sort de là, bienvenue. Le thème de notre oraison sera, habituellement, Lui: s’il y en a d’autres, ils pourraient être ceux qui nous conduisent plus à son amour.
b) Visage de Jésus
Celui qui fait une prière affective passe, presque sans s’en rendre compte, du regard au visage. C’est comme obtenir que le tableau se complète, parce que le visage parle plus que le regard: il l’intègre. Les sages expliquent que Dieu n’a pas voulu laisser de données dans l’Evangile sur la physionomie de notre Rédempteur pour qu’ainsi Il fusse réalisé dans la formulation personnelle de chaque coeur qui le chercherait[22].
D’où la difficulté de cette tâche plus que celle de capter le regard, parce que le regard complète la personnification de Jésus selon notre ressemblance avec Lui, selon notre réponse, selon la docilité que nous présentons à l’Esprit-Modeleur. «Si tu veux te sauver -enseigne saint Thomas- regarde le visage de ton Christ»[23].
La physionomie divine de Jésus, cette physionomie intime que les anges désiraient contempler, que personne comprend et dont les traits se devinent à travers son Visage humain quand il apparut sur terre, est la même physionomie du Père, de même que son Coeur de chair laisse transparaître pour nous l’Amour divin insondable.
A la fin, toute notre éternité consistera seulement dans la vision intuitive et sans médiation de Dieu face à face; et ce visage du Père nous l’avons, réalisé maintenant et pour toute l’éternité dans le Visage de Jésus: «La lumière du visage de Dieu resplendit avec toute sa beauté sur le visage de Jesús-Christ »[24].
Ce visage est un visage humain
Chaque homme et chaque femme a son propre visage. La trace des individus dans leur visage facilite la connaissance: le visage est le miroir de l’âme. Nous savons quelque chose des autres quand nous accédons à leurs expressions corporelles (regards, gestes, sourires, pleurs,…), mais beaucoup plus quand nous sommes capables d’identifier intériorité et regard dans la singularité de leur existence comme sujets. Le visage facilite la connaissance mutuelle, la relation personnelle, l’implication réciproque, le dialogue respectueux; en définitive, la découverte de ce que les autres sont en réalité.
Le visage devient quelque chose comme la clé d’accès au cœur. C’est pour cela que Dieu a voulu avoir un visage, un visage humain. Jésus est le visage du Père: «Dieu fit briller sa lumière dans nos cœurs pour que resplendisse la connaissance de Dieu dans la face de Jésus-Christ».[25]
Nous pouvons être parfois loin de la vérité dans l’oraison, puisqu’au lieu de nous tourner vers Dieu nous nous dirigeons vers quelque chose que nous imaginons être Dieu. Nous devons alors nous efforcer de chercher le vrai Visage de Jésus, pour que notre relation avec Lui se vérifie: autrement nous attendrons en vain le doux sursaut[26].
Stéréoptypes de l’image de Jésus
Très souvent, notre perception de Jésus se limite à un stéréotype (ou à plusieurs) que nous avons élaboré dans nos contacts, dans nos lectures, et même dans nos expériences personnelles. Ce n’est pas qu’ils sont dépréciables, parce que ces moules font référence à des vérités dogmatiques, à des scènes de sa vie ou à des représentations artistiques de la peinture, la sculpture ou la cinématographie.
Elles ne sont pas inadéquates mais incomplètes: le Verbe de Dieu incarné ne s’enferme pas dans des formules fixes ou dans des représentations statiques. Il est unique pour chacun, et est unique et irrépétible dans chaque prière et dans chaque circonstance de notre existence.
La prière personnelle dépasse les clichés et découvre la richesse infinie de l’Autre qui nous est rendue présente avec la variété d’un Amour toujours nouveau. Si nous voulons trouver Jésus tel qu’Il est, nous devons aller avec nos armes baissés, avec une attitude de foi vive, avec tranquillité et liberté de cœur, disposés à une rencontre de deux personnes qui doivent être en vérité elles-mêmes. «Ce Christ, que tu vois, n’est pas Jésus. — C’est tout au plus la triste image que peuvent former tes yeux troubles… — Purifie-toi. Clarifie ton regard dans l’humilité et la pénitence. Ensuite…la clarté lumineuse de l’Amour ne te manquera pas. Et ta vision sera parfaite. Ton image sera réellement la sienne : Lui»[27].
c) Coeur de Jésus
Dans la prière affective -qui est amour concentré- il n’y a pas de présences qui rendent difficiles, ni des médiations qui restreignent la communication: le flux est franchement personnel. Le Seigneur ressuscité est là, il agit au plus profond du cœur, et est en train de communiquer, à travers des modes prévus uniquement par Lui. Il attend de nous ce que nous pouvons lui donner: l’ouverture de notre cœur qui lui rend possible de l’unir au Sien.
La prière affective n’est pas un simple sentiment, bien qu’il peut et doit l’inclure. Il est bon de toucher quelques fibres sensibles quand nous prions, pour que s’enflamme l’étincelle entre le monde sensible et le monde suprasensible. Nous pouvons, par exemple, nous servir des chansons limpides d’amour humain (ou les chants liturgiques qui nous aident le plus), de même que des images sacrées, spécialement celles de Jésus crucifié ou de la Sainte Vierge. Ou des paroles de Jésus dans le Saint Evangile, écoutées pas de manière impersonnelle, sinon personnalisées: de Lui à moi, de moi à Lui; ou avec les notes des lumières qu’à d’autres moments nous trouvons dans nos notes personnelles.
Dialogue d’amour
Étant tant fondamental le rôle des affections dans la prière, nous dirons, cependant, que le “vrai et propre dialogue d’amour” ne reste pas dans la sphère des appétits sensibles, sinon qu’il arrive au cœur (selon la manière de comprendre le cœur comme signalé auparavant). La caractéristique de l’amour vrai est l’unio affectus, comme l’explique saint Thomas: «Il comporte en effet une certaine union affective entre celui qui aime et celui qui est aimé, selon que le premier considère le second comme étant un avec lui, ou comme une partie de lui-même, et c’est ainsi qu’il se porte vers lui»[28].
Il se distingue de la simple bienveillance, par laquelle nous pouvons faire un bien à l’autre (vouloir un bien pour lui), mais cela ne signifie pas sans plus que nous l’aimions avec l’union affective. «La bienveillance au contraire est un acte simple de la volonté par lequel nous voulons du bien à quelqu’un, même sans union affective (unione affectus) préalable. Ainsi donc, la dilection considérée comme l’acte de la charité, englobe la bienveillance, mais la dilection, ou bien l’amour, y ajoute une union affective (amor addit unionem affectus)»[29].
Rencontrer le Christ dans les profondeurs du cœur
De sorte que la prière affective ne se limite pas nécessairement à la rencontre avec le regard, le visage, les plaies, les paroles du Seigneur, sinon qu’elle cherche son Moi plus intime, parce que nous voulons nous unir à Lui là, avoir là son même sentir; atteindre, selon les mots du Catéchisme, «la connaissance intérieure du Seigneur pour L’aimer et Le suivre davantage» (CEC, n 2715). Ce que nous cherchons est la con-corde, l’union des cœurs, l’unio affectus.
Alors, nous cherchons que le Coeur de Jésus et le nôtre battent avec un même battement, de sorte qu’un processus unificateur se construise pas à pas, «parce que l’âme ne possède plus son coeur, puisqu’elle l’a donné à l’Aimé»[30]. À la fin l’amour n’est rien d’autre qu’avoir dans le propre coeur tout et seulement ce qu’a le coeur de l’Autre: l’amour est unio affectus: «L’amour est en effet “une force unifiante”, et la paix est l’union des inclinations appétitives»[31].
Union des cœurs
Dans les rencontres -et cherchant l’unio affectus, l’union des cœurs-, nous considérons qu’il y a différentes manières d’être. On peut être physiquement près de quelqu’un sans se connecter avec cette personne, par exemple, quand rien ne nous lie à l’inconnu qui voyage à nos côtés dans l’autobus. Nous pouvons même cohabiter beaucoup de temps avec un autre, et même de manière permanente, mais cet autre nous est indifférent.
Á ces personnes manque ce qui vraiment important pour être réellement proche: l’unio affectus, l’union intérieure, l’identité de sentiments et de pensées, en un mot, l’identité des mondes: «Or, il vaut la peine d’aimer le Seigneur. Vous avez observé comme moi que celui qui est amoureux s’abandonne avec confiance, dans une harmonie merveilleuse où les cœurs battent d’un seul et même amour»[32].
Rencontrer Marie dans la prière
Le meilleur exemple de l’union amoureuse, nous le trouvons dans l’être de Marie au pied de la Croix; le Cœur de son Fils et le sien battent d’un même amour. Si nous nous arrêtons à contempler ce qui se passait dans son Coeur et dans celui de son Fils, si nous captons dans le croisement de ces regards le flux intense d’amour silencieux, d’union d’affections, nous comprendrons alors mieux ce que suppose réellement être, ce qui peut être une prière très intense sans mots audibles[33].
Il est clair que l’union des cœurs entre Marie et Jésus nous ne l’apprenons pas seulement au moment sublime de la Passion, puisqu’elle a toujours été et continue d´être maintenant. Comment sentirait-Elle -dans ce cas- au moment d’étreindre dans ses bras l’Enfant, fondre son affection intime avec Son affection. Elle devinerait après, instant après instant, le motif et l’intensité de ses actions, ses pupilles étant dilatées par la foi et l’amour. Des moments de prière que, avec notre exercice et les dispositions intérieures, nous serons nous aussi capables d’expérimenter: «Quelle joie dans le regard joyeux de Jésus! la même qui luit dans les yeux de sa Mère… »[34].
Contempler l’humanité du Christ dans la prière
Dans la contemplation de l’Humanité du Christ et dans l’union avec son Cœur, il n’est pas étrange que le Seigneur nous associe aussi au mystère de sa passion, et que cette union avec sa croix se manifeste -comme dans son Humanité- aussi affectivement. Ce sont ces périodes, comme nous enseigne saint Josémaria, qui apparaissent dans la vie, et qui sont généralement décrites avec des expressions comme aridité, sécheresse, obscurité intérieure. Ou bien comme des tentations dans l’intimité de la personne.
Elles se présentent dans la vie des saints et la théologie spirituelle les désigne avec des termes durs mais éloquents, comme la “nuit”. C’est le moment de s’unir au Cœur du Christ à Gethsémani, sur la croix et y découvrir, avec la lumière de la foi, un grade d’union avec Dieu spécialement intense.
Amis de Dieu:
«Nous imaginons en outre que le Seigneur ne nous écoute pas, que nous nous sommes égarés, que seul le monologue de notre voix se fait entendre. Nous nous trouvons comme privés de soutien sur la terre et abandonnés du ciel. Cependant notre horreur du péché, même véniel, est bien réelle et pratique. Alors, avec l’entêtement de la Cananéenne, nous nous prosternons comme elle avec soumission pour l’adorer et supplier : Seigneur, viens à mon secours (Mt 25,25). Et l’obscurité disparaîtra, chassée par la lumière de l’Amour. (…) Possédant la clarté de Dieu dans notre intelligence, qui semble inactive, il nous paraît indéniable que, si le Créateur prend soin de tout, même de ses ennemis, à plus forte raison il prendra soin de ses amis !
Nous nous persuadons de ce qu’il n’y a ni mal, ni contradiction qui ne serve au bien : c’est ainsi que s’affermissent dans notre esprit la joie et la paix, qu’aucune raison humaine ne pourra nous arracher, parce que ces visitations laissent toujours en nous quelque chose de spécifique, quelque chose de divin. Nous louerons Dieu notre Seigneur qui a réalisé en nous des œuvres admirables (Cfr. Job 5,9). Et nous comprendrons que nous avons été créés avec la capacité de posséder un trésor infini (cfr. Sab 7,14)»[35].
6. Recueillement intérieur
«(Dieu) essentiel et de manière présentielle est caché dans l’être intime de ton âme (…) En restant caché avec Lui tu te sentiras comme caché (…) et tu l’aimeras et tu te réjouiras dans le silence et tu te raviras avec Lui caché» (SAINT JEAN DE LA CROIX, Cántico espiritual, B, 1, 6).
La prière affective exige des espaces de recueillement et de silence intérieur: «Il faut savoir rester en silence, créer des espaces de solitude ou, mieux, de rencontre réservée à une intimité avec le Seigneur»[36]. «Le recueillement est le secret de la vie de prière… La difficulté de la prière est dans le fait de savoir se recueillir. En obtenant cela, l’on obtient tout»[37]. «Du recueillement dépend tout. Aucune fatigue employée dans cette tâche est inutile.
Et même si tout le temps destiné à la prière passe en le cherchant, il sera bien employé, parce qu’en substance le recueillement est déjà prière. Plus encore, durant les jours d’inquiétude, de maladie ou de grande fatigue, il peut être bon quelquefois de se contenter de cette prière de recueillement »[38].
L’importance du recueillement intérieur pour la communication d’intimité avec Dieu nous paraîtra évidente si nous comprenons cette vérité fondamentale: Dieu n’est pas tant hors qu’en chacun de nous, et c’est là, dans notre moi, où nous devons obtenir l’identité des vouloirs, l’unio affectus. Si nous n’obtenons pas ces rencontres et ces unions dans notre monde intérieur, nous ne l’obtiendrons jamais dans l’environnement qui nous entoure.
Ce fût l’expérience de saint Augustin: «Bien tard je t’ai aimée, ô beauté si ancienne et si nouvelle, bien tard je t’ai aimée ! Et voici que tu étais au-dedans, et moi au-dehors et c’est là que je te cherchais, et sur la grâce de ces choses que tu as faites, pauvre disgracié, je me ruais! Tu étais avec moi et je n’étais pas avec toi…»[39]
Percevoir Dieu en nous
L’âme se recueille quand, en joignant toutes ses capacités, elle entre en elle-même pour y trouver le Seigneur. Nous devons veiller avec un soin jaloux pour que nous n’abandonions jamais volontairement le contrôle de nos facultés intérieures, puisque dans tel cas nous aurions perdu la connexion de notre cœur avec le divin.
Quand, par exemple, nous permettons que notre imagination erre sans but (ou avec un but qui nous avilie), il se produit dans notre âme un gaspillage de forces qui l’empêchent de se donner, comme il se doit, au seul exercice de l’amour. C’est cela le but du recueillement: unifier les forces dispersées et perdues dans un vain gaspillage… pour les concentrer à nouveau en Jésus, l’Hôte qui habite à l’intérieur de nos âmes[40].
Le Saint-Esprit comme protagoniste
Évidemment, dans tout l’itinéraire de la vie de prière, le grand protagoniste est l’Esprit Saint. C’est Lui qui nous unit au Christ. C’est Lui qui nous introduit dans l’intimité de l’amour de Dieu et nous fait découvrir et vivre, de manière mystérieuse et ineffable, la réalité de son amour infini et de notre filiation divine. Pour cela, l’âme chrétienne accourt toujours au Saint Esprit pour qu’il meuve nos cœurs, comme le demande l’Eglise dans la précieuse séquence de la Messe de Pentecôte.
Rétablie dans la possession d’elle-même et dans son unité, notre âme peut alors converser amoureusement avec son Hôte, qui ne cesse de nous inviter aux communications secrètes. Mais celles-ci ne seront possibles que dans le calme, dans l’attention exclusive, dans le recueillement intérieur: «La véritable prière -enseigne saint Josémaria-, celle qui absorbe l’individu tout entier, ce n’est pas tant la solitude du désert qui la favorise que le recueillement intérieur»[41].
Le langage dans la prière chrétienne
Celui qui prit ainsi découvre que l’Amour divin est incliné sur lui et, se sentant aimé, il aime. Il aime avec plus d’intensité plus il se sait aimé, et alors il donne au Seigneur tout ce qu’il est et tout ce qu’il peut. Le Seigneur répond avec des dons majeurs, et tout résulte comme un tournoi animé d’amour. Nous disions qu’en lui il n’y a pas de nécessité de prononcer des discours, parfois même, pas de paroles. L’insuffisance du langage est le corollaire de la nature du mystère de Dieu, de l’incapacité de l’homme pour le comprendre et du langage humain pour l’exprimer.
Pour cela, les spirituels ont besoin du symbole et de la comparaison. Ils demandent en prêt les expressions qui le font entendre le moins mal possible. Saint Josémaria parlait de “être en état d’ébriété”, “fou d’amour”, “baiser les plaies”, “entendre les battements de son coeur”, “embraser”, “faim de voir Jésus”, “se mettre dans la plaie du côté”, “amour ravissant”, “jouer de la comédie devant Dieu”, “désir fou”, “soif de Dieu”, “chercher ses larmes, son sourire, sa face”…
Laisser agir l’Esprit Saint
Quand l’Esprit Saint agit intensément avec ses dons -y rencontre notre collaboration résolue-, les éléments de notre psychisme s’intègrent dans le fond de notre intérieur, où Dieu habite. Il se crée ainsi un espace vital sacré duquel brote la félicité, prélude de la contemplation éternelle. La personne se donne à Dieu d’une manière unifiée, incluant ces éléments qui avec fréquence paraissent perdre leur orbite: les passions.
Une telle unification serait comme un écho lointain de la nature intégrée que nous avions eu une fois, perdue comme conséquence du péché originel. L’orientation de toutes les couches de notre psychisme vers Dieu- toujours sous l’action souverainement libre de l’Esprit sanctificateur-, fournit ce principe intégrateur qui apporte avec lui la paix profonde. Et au contraire:«Quand regarder Dieu n’est pas déterminant, tout le reste perd son orientation»[42].
Ricardo Sada
Notes sur le rôle des affections dans la vie de prière
[1] Il faut différencier émotions, sentiments et passions, mais étant donné la multitude d’aspects communs entre eux, nous ne les distinguerons pas ici.
[2] SAINT THOMAS D’AQUIN, Super Ev. S. Matth., lect. 22, 4.
[3] BENOIT XVI, Enc. Deus est caritas, n. 7.
[4] BIENHEUREUX ÁLVARO DEL PORTILLO, Lettre pastorale, 1-XI-1987 dans Cartas de familia, I, 331 (AGP, biblioteca).
[5] «Le cœur est la demeure où je suis, où j’habite (selon l’expression sémitique ou biblique : où je “descends”). Il est notre centre caché, insaisissable par notre raison et par autrui ; seul l’Esprit de Dieu peut le sonder et le connaître. C’est le lieu de décision, au plus profond de nos tendances psychiques. Il est le lieu de la vérité, là où nous choisissons la vie ou la mort. Il est le lieu de la rencontre, puisque à l’image de Dieu, nous vivons en relation : il est le lieu de l’Alliance.» (CEC, 2563).
[6] SAINT JOSEMARÍA ESCRIVÁ, Amis de Dieu, 299.
[7] Suma teológica, II-II, q.82, a.3, ad 2.
[8] Vida 22, 9.
[9] Id, 37, 6
[10] Lettre Novo millenio ineunte, n. 32. Le contexte est très éloquent: « Nous, qui avons la grâce de croire en Christ, révélateur du Père et Sauveur du monde, nous devons enseigner à quel grade d’intériorisation la relation avec lui peut nous envoyer. La grande tradition mystique de l’Eglise, tant en Orient qu’en Occident, peut enseigner énormément à ce sujet. Elle montre comment la prière peut avancer, comme vrai et propre dialogue d’amour, jusqu’à faire que la personne humaine soit possédée totalement par le divin Aimé, sensible à l’impulsion de l’Esprit et abandonné filialement dans le cœur du Père. Alors se réalise l’expérience vive de la promesse de Christ: “Celui qui m’aime, sera aimé de mon Père; et moi je l’aimerais et me manifesterai à lui” (Jn 14,21)».
[11] Lettre Orationis formas, de la S. C. de la Doctrine de la foi, 15-X-1989. Ce serait également valide de parler d’oraison en sens inverse: le Tu de Dieu vers le je de l’homme.
[12] Il est très frappant de voir que le Catéchisme enseigne que ce n’est pas seulement la partie humaine de Jésus qui nous aime, mais que ce désir procède des profondeurs de Dieu qui nous désire: « Jésus a soif, sa demande vient des profondeurs de Dieu qui nous désire.» (CEC, 2560).
[13] «Oui, je considère tout cela comme une perte à cause de ce bien qui dépasse tout : la connaissance du Christ Jésus, mon Seigneur. À cause de lui, j’ai tout perdu ; je considère tout comme des ordures, afin de gagner un seul avantage, le Christ.» (Philippiens 3, 8).
[14] Ce que nous disons ici de la Personne de Jésus est parfaitement applicable, mutatis mutandis, à la Très Sainte Marie.
[15] SAINT JOSÉMARIA ESCRIVA, Lettre, 29-IX-1957.
[16] SAINT JOSÉMARIA ESCRIVA, Forge, n. 857.
[17] SAINT JOSÉMARIA ESCRIVA, Amis de Dieu, n. 67.
[18] SAINT JOSÉMARIA ESCRIVA, Chemin de croix, 8e station, n. 4.
[19] SAINT JEAN PAUL II, Lettre à tous les jeunes du monde à l’occasion de l’année internationale de la jeunesse, n. 7.
[20] SAINTE THÉRÈSE DE JÉSUS, Vida 27, 10. D’autres textes analogues de la sainte: «Je ne vous demande pas maintenant de penser à Lui, ni d’en tirer plusieurs concepts, ni de faire de grandes et délicates considérations avec votre entendement; je vous demande seulement de le regarder». «Lui, est en train de me regarder. Ceux qui prient sont en train de voir qu’Il les regarde». La Sainte unit dans une seule phrase l’attitude de Dieu et de l’homme: «Regarde-Le qui te regarde».
[21] «L’obéissance du cœur à Dieu qui appelle est essentielle à la prière, les paroles ont une valeur relative» (CEC, 2570).
[22] «…vultum tuum, Domine, requiram! Beaucoup de fois, quand je fais la prière seul, je la fais en criant, même si c’est la prière mentale. J’ai faim de connaître le visage de Jésus-Christ!» (SAINT JOSÉMARIA ESCRIVA, dans Crónica 1975, p. 764 (AGP, biblioteca)).
[23] Comentario a la Ep. a los Hebreos 12, 2.
[24] SAINT JEAN PAUL II, Enc. Veritatis splendor, n. 2.
[25] 2 Corintios 4, 6.
[26] SAINT JOSÉMARIA ESCRIVA, Amis de Dieu, n. 296.
[27] SAINT JOSÉMARIA ESCRIVA, Chemin, n. 212.
[28] SAINT THOMAS D’AQUIN, Somme théologique, II-II, 27, 2.
[29] Ib.
[30] SAINT JEAN DE LA CROIX, Cántico B, 9, 2.
[31] SAINT THOMAS D’AQUIN, Somme théologique II-II, q. 29, a. 3 ad 3.
[32] SAINT JOSÉMARIA ESCRIVA, Amis de Dieu, 220.
[33] La prière affective trouve dans la Passion du Christ, une source inépuisable (SAINT JOSÉMARIA, Chemin de croix, Prologue). Il suffirait de penser, par exemple, à la commotion que peut supposer pour nous la contemplation des Plaies du Christ, que saint Josémaria a vécu avec tant d’intensité selon le récit de PEDRO RODRÍGUEZ, Camino, edición crítico-histórica, p. 459.
[34] SAINT JOSÉMARIA ESCRIVA, Sillon, n. 95. Saint Jean Paul II invite à obtenir dans le Rosaire l’union avec Jésus à travers le coeur de Marie: «Par sa nature la prière du Rosaire exige un rythme tranquille et un remous réflexif, qui favorise chez celui qui prie la méditation des mystères de la vie du Seigneur, vus à travers le coeur de Celle qui fut plus proche du Seigneur» (Lettre Rosarium Virginis Mariae, n. 12).
[35] SAINT JOSÉMARIA ESCRIVA, Amis de Dieu, nn. 304-305.
[36] SAINT JEAN PAUL II, Homélie, 20-VIII-1980.
[37] JUAN BAUTISTA TORELLÓ, dans le prologue de La vida en Dios, par un chartreux, Rialp, Madrid 1956.
[38] ROMANO GUARDINI, Introduzione alla preghiera, Brescia 1948, p. 23.
[39] SAINT AUGUSTIN, Les Confessions, 27. 38.
[40] Comme une compagne inséparable de la solitude de recueillement est la solitude d’attaches, c’est-à-dire, la liberté du coeur: «La sagesse qui conduit à la connaissance et, partant, à l’amour de Dieu, fleurit dans un coeur pur» (SAINT JEAN PAUL II, Homélie, 14-II-1980).
[41] SAINT JOSÉMARIA ESCRIVA, Sillon, n. 460.
[42] BENOÎT XVI, Audience générale, 26 septembre 2012.